Vous vous demandez pourquoi vous avez peur du jugement des autres et comment font ceux qui n’en souffrent pas ? Dans cet article, j’aimerais vous donner les raisons possibles de cette peur. Le fait de découvrir ces raisons apporte souvent du soulagement. Ensuite je partagerai des pistes pour vous aider à vous libérer de cette peur du jugement des autres.
Tout le monde s’en fait de ce que les autres pensent. Je suis bien placée pour le savoir : c’est un sujet que beaucoup de patient.e.s abordent avec moi (même si certain.e.s ne l’abordent avec personne d’autre). Oui, tout le monde ! Même ceux qui semblent s’en foutre ! Ceux-là vivent ces peurs aussi mais, pour certaines raisons, les mettent à distance.
Explication
J’ai découvert une hypothèse pour expliquer cette peur du jugement et depuis que je la partage dans mes thérapies, j’observe qu’elle apporte beaucoup de soulagement. Si l’on en croit la psychologie évolutionniste, nos comportements et nos états internes ont été programmés au fur-et-à-mesure de l’évolution de l’espèce humaine. L’idée est que les (gènes liés aux) réactions qui ont favorisé la survie et la reproduction ont été sélectionné(e)s. C’est le principe de l’évolution : elle sélectionne ce qui aide à survivre et à passer ses gênes à la génération suivante. Ce qui n’aide pas à survivre est voué à disparaître (puisque ce n’est pas transmis à la descendance). (1)
Le groupe ou la mort
Imaginez un instant ce qu’aurait été votre vie quotidienne parmi vos ancêtres nomades, ceux qui vous ont transmis leurs gênes. Pendant des centaines de milliers d’années (ça fait un paquet d’années !) ils vivent en petits groupes. Alors que vous grandissez dans un de ces petits groupes (disons il y a 40000 ans, quelque part en Afrique de l’Est), vous n’avez qu’un nombre restreint de contacts avec d’autres groupes, le nombre de personnes que vous connaitrez au cours de cette vie-là est très limité.
Pourtant votre survie dépend de l’interdépendance avec ces personnes. Tout le monde participe à l’effort collectif pour rester en vie, se protéger des intempéries et des prédateurs, trouver à manger, etc. Si une personne se comporte très mal et ne respecte pas les règles de la vie en groupe (par exemple si elle s’accapare tout le gibier sans partager), elle risque d’être bannie. Celui qui est banni parce qu’il a mal agi a peu de chances de survivre et de passer ses gènes à la génération suivante.
Il en résulte que nous avons été programmés génétiquement pour nous en faire de ce que les membres du groupe pensent de nous et pour, dans une certaine mesure, nous conformer à leurs attentes. La peur du jugement des autres nous a aidés, en tant qu’espèce, à survivre.
Ceci pourrait expliquer pourquoi il est si difficile pour certain.e.s de faire face à la solitude. De la même manière, le besoin d’avoir sa place et se sentir utile est resté un besoin important.
Cependant, les conditions de vie de nos ancêtres n’existent plus. Notre survie dépend beaucoup moins des personnes que l’on fréquente. Il y a un décalage (mismatch) entre cet environnement de l’adaptation évolutive et l’environnement contemporain de l’espèce humaine. (2). Nous ne vivons plus entourés d’un groupe très limité de personnes dont le bon fonctionnement est si déterminant pour notre survie.
En lisant ceci, on pourrait être tenté de se dire « il faut que je m’en foute de ce que les autres pensent ». Mais ce n’est pas si simple.
Tout d’abord parce qu’on ne choisit pas le contenu des pensées qui se présentent sur notre scène mentale. C’est comme si les pensées avaient une vie propre. Elles apparaissent sur la scène mentale, qu’on le veuille ou non (3). Par contre on peut apprendre à méditer pour les observer et les mettre à distance. Et Ensuite parce que, même à l’heure actuelle, il serait assez difficile de survivre tout seul. Approfondissons ces deux questions : la méditation pour gérer la pensée, et le lien entre dépendance et survie.
Méditation et bienveillance
Méditer ne veut pas dire ne pas penser. Certaines séances de méditation de pleine conscience nous invitent à observer la méditation avec la même attention et la même distance que si on écoutait des voix autour de soi. On pourrait voir ces différentes voix comme différentes parties de soi ou « modules » (3).
Je trouve très utile et porteur, pour cultiver la bienveillance envers soi, de simplement admettre que chacune de ces parties cherche à assouvir un besoin et qu’elle fait de son mieux pour y arriver. Certaines parties s’expriment avec peu de sagesse, et donnent lieu à des stratégies immatures.
Par exemple lorsque l’on dit ‘oui’ à toute demande, sans jamais mettre aucune limite – parce qu’on a envie d’être aimé.e, d’être accepté.e. N’est-on pas comme un enfant qui, dans la cours de récré, a peur d’être rejeté ? Une fois que vous avez identifié une partie de vous, je vous conseille alors de la reconnaitre et de vous adresser à elle avec amour et bienveillance. Ce sera d’autant plus facile de la mettre ensuite à distance et relativiser son message.
Il y a en effet bien d’autres parties de soi que celle-là qui vous pose problème. Des parties de soi pleines de sagesse, de maturité, de compétences.
Dépendance et survie
Revenons à la notion de survie et de dépendance aux autres. Il serait faux de dire que notre survie ne dépend plus du tout des autres. Par exemple notre survie financière dépend en partie de notre entente avec nos collègues. C’est d’ailleurs cet exemple qui m’a inspiré pour la rédaction de cet article : une de mes patientes (qui me consulte par vidéo-conférence depuis le début du confinement) a partagé ses difficultés à gérer les pensées en rapport avec ce qu’(elle pense que) ses collègues pensent d’elle, et le stress que ces pensées génèrent. Bien sûr il est toujours possible de changer de boulot (c’est ce qu’elle a décidé de faire) mais ce n’est pas toujours facile ou souhaitable.
En réalité, même si le monde s’est complexifié et que, en tant qu’occidentaux vivant en Europe en ce début de 21ème siècle, dans l’immédiat nous n’avons pas trop à craindre au niveau survie, nous sommes tout de même hautement dépendants. Ces autres ne sont pas nécessairement ceux dont nous craignons le jugement, mais nous sommes effectivement interdépendants d’un grand nombre de personnes, d’êtres vivants et de phénomènes. Certains utilisent l’orthographe amusante « uns-Terre-dépendants » pour insister sur cette notion d’interdépendance des uns comme des autres vis-à-vis du Vivant.
La gratitude
Pour recadrer cette (inter)dépendance comme quelque chose de sain et positif, la pratique de la gratitude est une piste géniale dont je vous ai déjà parlé. Personnellement je la pratique tous les jours et je la prescris beaucoup à mes patient.e.s. Pendant le confinement dû au covid19 j’ai commencé à pratiquer la gratitude avec ma fille (qui a trois ans au moment où j’écris).
Par exemple en mangeant nous nous amusons à lister toutes les choses grâce auxquelles, et les personnes grâce à qui le repas a pu se faire : merci la terre, le soleil, les plants de riz, les personnes qui ont cultivé, transporté, papa qui a fait les courses et cuisiné, etc. Parfois elle ajoute des choses : merci la chaise, merci la cuillère.
Cette pratique de la gratitude permet de se sentir davantage satisfait.e et connecté.e, voire interconnecté.e.s avec tout ce qui vit (uns-Terre-connectés). Si vous cherchez de l’inspiration pour enrichir votre pratique de la gratitude, voir à ce sujet le texte « inter-être ».
Quel rapport entre la gratitude et la peur du jugement des autres ?
Même si le fait de pratiquer la gratitude n’éliminera pas le jugement sévère sur soi et la peur du jugement des autres, elle vous permettra, surtout si vous la couplez avec une pratique régulière de la méditation, de relativiser l’importance de ces jugements.
En effet la gratitude permet, d’une part, de donner plus d’importance à une partie de soi qui génère de la satisfaction, de la confiance en soi, de la confiance dans la vie, et d’autre part, de se sentir sainement connecté.e à tout le Vivant (un-Terre-dépendant, comme certains l’orthographient).
Pour conclure
La première chose à savoir est que tout le monde souffre de cette peur du jugement mais certaines personnes la mettent à distance.
On peut utiliser un éclairage de la psychologie évolutionniste pour apprécier le rôle adaptatif de cette tendance : nos ancêtres nous l’ont transmise puisqu’elle les a aidés à survivre dans des groupes où l’entraide était décisive. Être exclu revenait probablement à mourir.
Malgré que nos conditions de vie soient radicalement différentes aujourd’hui, ces pensées, tout comme d’autres pensées « programmées » par l’évolution, continuent à nous habiter.
Voici ce que nous pouvons faire avec ces peurs du jugement des autres et autres pensées :
- observer
- identifier
- reconnaitre avec amour et bienveillance
- relativiser
- donner plus de place à d’autres pensées plus porteuses
Or la gratitude aide justement à donner plus de place à des parties de soi qui cultivent satisfaction et confiance. De plus la pratique de la gratitude pousse à apprécier cette fameuse interdépendance (un-Terre-dépendance) qui donne tant de sens à la vie.
Pour aller plus loin et :
- apprendre à vous accepter et vous aimer en tant que personne
- découvrir comment vous rassurez par rapport à ce que les autres pensent (réellement) de vous
- prendre conscience dans vos accomplissements
- découvrir un dialogue interne bienveillant
- accédez à la formation « S’aime, s’accepter, croire en soi », en cliquant ici.
à lire aussi :
J’ai peur de ce que les autres pensent de moi
L’exercice des 5 mercis (introduction à la pratique de la gratitude)
Notes et références :
- (1) On parle de l’évolution comme si c’était une personne pensante pour simplifier les choses. Ce que ça implique, c’est que les mutations génétiques qui sont bénéfiques pour la survie de l’individu et le passage de ses gènes à la génération suivante sont sélectionnées. C’est comme si l’évolution « voulait » la survie.
- (2) Source : Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychologie_%C3%A9volutionniste – consulté le 17 mai 2020)
- (3) Les pensées apparaissent sur notre scène mentale, qu’on le veuille ou non. Il existe plusieurs théories intéressantes sur cette question. Dans son cours « Buddhism and Modern Psychology », l’auteur Robert Wright fait un parallèle entre deux théories d’une manière que je trouve intéressante pour expliquer la nature de nos pensées. La première théorie vient des neurosciences et s’intéresse au « mode de fonctionnement par défaut » (default mode network). Il s’agit d’un mode de fonctionnement du cerveau qui a lieu lorsque nous ne pensons à rien de spécial et que nous laissons nos pensées vagabonder à leur guise. La deuxième est la vue modulaire de l’esprit (« modular mind » de Robert Kurzban, psychologue évolutionniste). Elle postule que notre esprit est constitué de différents « modules » ayant chacun un rôle pour notre survie. Ces modules nous pousseraient à prendre soin de soi, prendre soin des proches, trouver et garder un partenaire, et… faire attention à l’image de soi. Et en mettant ces deux théories en parallèle, on pourrait voir ces modules comme étant à l’origine des pensées générées pendant le mode de fonctionnement par défaut.
crédit photo : série Hunter gatherers by Hans Splinter (licence CC BY-ND 2.0) acquise via Flickr