Ma contribution au numéro 32 de la revue Hypnose & Thérapies Brèves

Voyage au Woodstock de la psychothérapie.

Huit mille collègues, tels des pèlerins, se pressent aux portes de salles immenses. Des intervenants plus captivants les uns que les autres sont programmés au même moment, si bien que les choix sont difficiles. Certains aspects vous font penser à un festival de musique, même si les festivaliers arborent ici des badges et non des bracelets, ils sont venus voir leurs stars : dinosaures et géants de la psychothérapie. Vous voulez vous faire prendre en photo en compagnie d’Ernest Rossi, ou avoir un autographe de Martin Seligman ? Faites la file ! Et si vous voulez parler à Aaron Beck (92 ans) en personne, vous pourrez lui poser une question par vidéo conférence, après l’interview réalisée par sa fille.

La première édition, en 1985, avait été décrite par le New York Times comme le Woodstock de la psychothérapie. Parmi les différents congrès organisés par l’Institut Milton Erickson, « The Evolution of Psychotherapy » n’a lieu que tous les 4 ans. Ce n’est pas ici que vous entendrez la blague :  » Erickson comme la marque de téléphone ? « . Cinquante tenants de différents courants psychothérapeutiques et autres conférenciers, au lieu de s’opposer, font des ponts, se comparent, se complètent, se complimentent.

Je fais partie de la modeste équipe de 500 bénévoles qui les assiste et encadre le public. Dès la réunion d’accueil la veille de la pré-conférence, je me mets à troquer avec ma voisine des ressources en hypnothérapie contre ses outils de thérapie familiale. Jeffrey Zeig vient nous remercier en personne pour notre présence, à l’entendre on croirait faire l’Histoire. Quel enthousiasme ! Il raconte qu’il a, lui aussi, été bénévole en son temps. Lisez : vous aussi vous pourriez, un jour, devenir un Jeffrey Zeig. Il faut dire qu’on se sent parfois petit, dans un centre de conférences aussi titanesque. Mon travail de bénévole se résume, la plus part du temps, à jouer les hôtesses d’accueil quelques heures par jour, en dehors desquelles j’ai accès à toutes les sessions, y compris une master class avec Jeffrey Zeig et Erving Polster.

J’hésite à prendre ma voiture de location pour aller à Anaheim assister aux deux événements pré-conférence qui m’intéressent. Les séances risquent d’afficher complet et il faut laisser la priorité au public. J’ai moyennement envie de conduire 40 miles pour rien. De plus il est dit qu’on se remet plus vite d’un jetlag en passant du temps à l’extérieur. Je décide de me balader au Greenpark de Los Angeles, près de chez les amis qui m’hébergent. Ce soir ils se réunissent avec leur groupe d’écriture pour échanger les résultats de leur dernier exercice. Ils sont tous au moins scénaristes et comédiens, certains sont aussi caméraman, directeur artistique ou humoriste. Je suis invitée à participer et partager des écris sur mes thérapies. Je décide que cette expérience inédite compensera sûrement le fait de manquer la présentation de James Foley sur la technique narrative. J’en ressortirai des encouragements et des conseils précieux.

The Wizard of the Desert, documentaire sur la vie de Mitlon Erickson, est programmé le lendemain soir mais c’est à mon tour d’apporter mes compétences à mes hôtes et leurs amis à Los Angeles. Ce soir j’anime une séance d' »Hypno Move » sur le thème du voyage et de la quête de soi. Par ailleurs j’achète le DVD du documentaire, histoire de l’offrir à mon papa pour Noël et le visionner en famille une fois de retour à Bruxelles. Mis à part ces deux soir’es et une nuit à San Diego, je n’aurai le temps de rien visiter. Les longues heures dans les embouteillages sur les autoroutes à huit bandes me permettent tout de même d’apprécier les couchers de soleil typiquement californiens : de beaux ciels en feu, striés de nuages déchiquetés.

Le congrès commence, la plupart des participants sont là pour 5 jours de marathon. Il est 7h45 quand les premières conférences commencent et parfois 23h quand les dernières, comme l’intervention de Irvin Yalom, se terminent. Essayons de passer en revue certaines des séances qui m’ont le plus marquée.

Les thèmes qui m’attirent le plus sont les suivants : Comment mieux intégrer la spiritualité dans mon travail tout en respectant les (non)croyances de mes patients ? Comment aider les patients qui se tournent vers l’hypnothérapie parce qu’ils vivent de l’auto-agressivité dans leurs méditations  » silencieuses  » ? Où trouver de nouveaux outils pour la thérapie de couple ? Comment et pourquoi écrire sur mon travail d’hypnothérapeute tout en respectant le secret professionnel ? Comment exprimer authentiquement la compassion que je ressens face aux douleurs du patient tout en gardant une juste distance ? Comment continuer à améliorer ma capacité d’écoute et affiner mon empathie ? Est-ce que l’empathie peut se mesurer ? Comment participer à la recherche en thérapie sans faire partie du monde académique ? Et enfin : comment intégrer le travail corporel et le mouvement dans ma pratique de l’hypnothérapie ?
Ces questions vont donc guider mes choix tout au long de la semaine. Je trouverai des pistes de réponses et bien entendu, beaucoup d’autres questions et une longue liste de sujets à investiguer.

David Burn a écrit dans sa description « Check your ego at the door if you plan to attend ». Ses études montrent que lorsqu’on questionne patients et thérapeutes respectivement, ces derniers ont une perception exacte du vécu du patient dans moins de 10% des cas. Ce sont donc 90% de patients qui n’ont pas tout à fait l’impression d’avoir été compris. Nous nous entraînons par groupes de trois et j’en ressors pleine d’humilité. Il affirme aussi que même si chaque école de thérapie apporte sa contribution, personne ne devrait dire  » Je suis de l’école X « . Pour lui ce serait comme si vous alliez voir un docteur qui, peu importe votre symptôme, vous prescrirait de la pénicilline. Il dirait  » Moi je donne de la pénicilline parce que je suis un docteur pénicilline « . Il encourage donc chacun à diversifier sa pratique mais surtout, il pousse à affiner empathie et demande de feedback.

Le couple Hendrix a développé la méthode Imago Relationship pour « sauver leur mariage « . Ils font une démonstration convaincante : le couple qui monte sur scène finit dans une longue étreinte, après que Madame ait pris conscience de combien elle apporte des choses à Monsieur dont il a manqué étant petit. Hendrix affirme  » Avouons-le : il faut cesser de prétendre que vous ne pouvez pas créer de sentiments chez les autres ! « . Je trouve ça rafraîchissant. Il défend l’idée que oui, nous faisons bien sentir des choses aux autres, et il conseille d’en prendre conscience, surtout en couple, pour s’aider l’un l’autre à voir d’où ça nous vient.

J’irai voir Robert Dilts plusieurs fois, notamment lors du dialogue avec Ernest Rossi sur le processus créatif. Dilts intègre des notions riches de mythologie et de travail corporel. Il parle des archétypes rencontrés dans les aventures de héros (Hero Journey) et voit l’appel du changement comme un appel à l’aventure. Le héros peut être tenté d’y résister, et même après l’avoir écouté, regretter de ne pas pouvoir faire demi-tour, mais une fois qu’il a rencontré ses mentors et fait face à ses démons, il peut revenir à la maison changé.

Entre le couple Shapiro/Zeig et celui Pipher/O’Hanlon, je choisis le second, tout en regrettant de ne pas avoir le sablier qui permettait à la jeune magicienne Hermione, amie d’Harry Potter, de remonter le temps pour assister à des cours ayant lieu simultanément. Je ne réussirai pas à aller écouter Salvador Minuchin.

Le dialogue entre Mary Pipher et Bill O’Hanlon vous encourage à écrire pour le public : Ecrire pour écrire ou pour être publier ? O’Hanlon conseille de commencer par écrire sans penser à publier, histoire de ne pas se censurer. Ecrire pour changer le monde ou pour instruire, voire divertir ? Avoir l’écriture dans la peau ou se faire violence pour s’y mettre ? Les deux auteurs conseillent de lire énormément -O’Hanlon affirme lire un livre tous les deux jours; rejoindre un club d’écrivains ; se discipliner -Pipher est allée jusqu’à s’interdire de boire son premier café avant d’avoir écrit un certain nombre de pages. Elle résout le problème du secret professionnel en mélangeant différents cas ou en les déguisant, mais elle demande parfois à ses patients de lire le manuscrit avant de donner leur approbation. C’est parfois la famille du patient qui refuse. Un parallèle se dessine entre thérapie et écriture : toutes deux demandent d’observer, poser des questions, et elles seraient parmi les seuls lieux où la société accorde encore une réelle place à la parole d’une personne. Ce sont deux disciplines qui s’intéressent réellement aux gens. D’après Pipher et O’Hanlon, thérapie et écriture invitent à s’immerger complètement dans un monde, d’une manière qui développe la bienveillance, l’empathie envers soi et les autres.

Jon Carlson, dans sa séance sur les thérapies de couple, parle notamment du comment chacun aime son partenaire de la manière dont il souhaite être aimé. Chacun a des comportements aimants qui ne sont pas reconnus comme tels. Carlson raconte que pendant des années sa femme lui écrivait des cartes à la moindre occasion, il fait rire l’auditoire en décrivant avec emphase combien chaque carte l’irritait :  » Je déteste les cartes !  » s’écrie-t-il. Mais ne voulant pas la vexer, il n’en disait rien. Elle continuait donc à lui en offrir, croyant lui témoigner un gage d’amour romantique bienvenu. Un jour il a décidé de lui en parler, depuis c’est Madame Carlson qui reçoit des cartes. Il conseille à chacun de prendre une position qui dirait  » Comme il est intéressant de voir comme tu es différent de moi !  » à la place de voir la différence comme une source d’irritation.

Lors d’une autre conférence, intitulée  » Maître Thérapeute « , il lit des pages et des pages de conseils, sur un ton tantôt solennel, quasi désespéré, tantôt moqueur, voire péremptoire. Il cite ses accomplissements : nombres de diplômes académiques, formations à diverses techniques thérapeutiques, approfondissement de philosophies orientales, voyages, formations, publications, nombre d’heures d’accompagnement thérapeutique, etc. La liste est si longue que j’en attends une conclusion du genre  » J’en apprends encore tous les jours  » ou autre chute empreinte d’humilité mais ça ne vient pas. Il est vrai qu’il a publié 175 articles et 60 livres, tourné des centaines de vidéos de thérapeutes influents, et reçu des décorations et compliments officiels qui griseraient n’importe qui. Il cite Goleman qui, à propos du mythe des dix milles heures, a affirmé que s’exercer dans un domaine pendant autant d’heures ne fait pas de vous un maître si vous faites les mêmes erreurs dix milles fois. Carlson préconise notamment une bonne supervision, la capacité à recevoir du feedback, à laisser son égo de côté, la pratique délibérée et la méditation de pleine conscience pour combattre la rêverie éveillée (day dreaming).
Après cette leçon sur comment devenir  » un maître « , alors que j’arrive en retard à la session de Gotman & Gotman, je ne comprends pas tout de suite qui sont les maîtres dont on parle ici. Il s’avère que dans leur jargon à eux, il s’agit des couples qu’ils ont observés dans leur  » appartement laboratoire  » et qui s’entendent si bien qu’on modélise leurs techniques de communication pour l’enseigner aux moins doués. Convaincue, je me procurerai l’un de leurs outils, un jeu de carte pour couples, qui invite chaque partenaire à poser des questions pour mieux connaître l’autre.

Même si ça n’a pas été de tout repos, il y a dans l’air un goût de fin de vacances. On se promet de rester en contact, on échange les cartes de visite,…Quelle expérience enrichissante ! Un reproche peut-être : même si le congrès se veut international -il y a des participants de 50 pays différents- les intervenants sont en grande majorité américains et je me demande dans quelle mesure ils représentent toute la diversité des mouvements thérapeutiques dans le monde.
Il est temps pour moi de prendre l’avion pour New York, où j’anime dans quelques jours une autre séance d’Hypno Move. Confortée par la manière dont Robert Dilts cherche à intégrer la danse des 5 rythmes et la mythologie, j’améliore mon script sur le combat des super héros (dont le but caché était de stimuler le système immunitaire) et j’en développe un nouveau sur le thème de la créativité. Ce dernier s’inspirera des modèles de Robert Dilts et Ernest Rossi.
Heureusement j’ai quatre années avant la prochaine édition pour digérer et approfondir les ressources récoltées ici. Little by little.Article Sarah Vandecasteele pour la revue Hypnose et Thérapies Brèves

Comments

comments